Pour une transformation de la case "victime" en chrysalide

J'ai reçu ce commentaire sur un post où je danse joyeusement en short et débardeur : "Quand je te vois, je doute de ton agression en Turquie."

Ce message a eu le mérite de soulever en moi une question :

Y a-t-il une figure de la victime "idéale" ? Est-elle celle d'une personne triste et brisée ? D'une personne qui s'enracine dans la colère et la révolte, qui cacherait désormais son corps, qui n'aurait plus la même joie de vivre ?

Je pense en fait qu'il y a autant de figures que de victimes, et que le contraire serait inquiétant.

Cela nous figerait en effet dans une forme standardisée : parce qu'on fut victime et au fond du trou, nous devrions le rester, afin de rendre crédible ce que l'on a vécu. Ce qui empêcherait en outre toute transmutation de l'expérience.

Ce commentaire m'a aussi rappelé à quel point l'on juge l'état intérieur d'une personne depuis son apparence extérieure.

Or, les agressions ne laissent pas forcément de traces visibles à l'extérieur. En revanche, elles laissent TOUTES des traces à l'intérieur.

Ces traces intérieures peuvent très bien se manifester à l'extérieur : colère, violence, désespoir, dépression .... Mais ce n'est pas forcément le cas (je fus longtemps une pro pour masquer mes émotions !).

Et puis de mon expérience, avec le temps, elles deviennent plus subtiles, quoique non moins redoutables.

Ce peut être un sourire qui s'efface au contact d'un mot, d'un son, d'une odeur, d'un geste, d'une courbe de l'horizon.

Un violent souvenir qui barre la route de tous les possibles : "Non, tu ne feras plus ça. Tu n'iras plus là-bas."

Un mouvement du corps qui révèle une douleur ou un blocage.

Un vêtement qu'on ne peut plus mettre parce que ça ramène au trauma.

Seule la personne qui les porte les connaît, ces traces.

Aujourd'hui, si j'ai choisi de rire, de danser, de continuer de voyager seule, de m'exprimer dans ma féminité, c'est parce je les ai acceptées tout en refusant qu'elles me contaminent.

J'ai brisé la case "victime", trop étroite et rigide, afin de la transformer en chrysalide. Après ça, l'envol.

Car à y penser, c'est juste : je n'ai plus la même joie de vivre qu'avant. Elle est aujourd'hui bien plus intense.

💕