Ma rencontre avec Amma

Amma en Inde ©Embracing The World

Amma en Inde ©Embracing The World

Vendredi dernier, j'ai rencontré Amma, une mahatma indienne (Grande âme en sanskrit), qui a fait de l'Amour sa religion. Chaque année depuis des dizaines d'années, elle embrasse des milliers de personnes à travers le monde, sous la forme d'un câlin, pour offrir son amour inconditionnel.

À mon tour, j'ai vécu cette expérience. Ce fut un moment émouvant, à la fois fort et doux, court et éternel, qui a semé quelque chose de puissant au fond de mon coeur.

Dans ce récit, je vous raconte les étapes qui m'ont menée jusqu'à elle.

 

La première fois que j'ai entendu le nom d'Amma

La première fois que j'ai entendu parler d'Amma, c'était il y a environ 2 ans. Fin décembre 2015, un froid sec et glacial s'est saisi de Paris, et je viens de terminer mon premier manuscrit, à l'époque intitulé : Le miroir de Béring. Je traverse le canal Saint Martin, dont la surface reflète la pâle lueur de l'hiver, et marche sereinement  à la rencontre d'une personne qui a accepté de le lire : Steve Suissa.

Steve ne travaille absolument pas dans le milieu littéraire, mais dans le théâtre et le cinéma. Après quelques refus d'éditeurs, je suis naturellement revenue à ma philosophie du "Je ne vais pas faire comme les autres" et je me suis dit qu'il serait bon de recueillir l'avis d'une personne qui baigne davantage dans le monde des images et de la mise en scène que dans celui des livres. Ainsi que je le confiais à mon compagnon, je DOIS savoir si mon histoire accroche quelqu'un qui ne me connaît absolument pas et surtout, si ce que j'ai écrit évoque bien des images, des scènes, pleines de vie, où l'émotion est palpable derrière les mots. Steve m'est apparu comme la bonne personne.

Mon manuscrit devenu livre quelques mois plus tard ... et préfacé par Steve !

Nous nous retrouvons sur les vieux fauteuils du Comptoir Général (lieu alternatif dans le 10è que je recommande chaudement). Lorsque nos thés à la menthe arrivent, il me donne son verdict :

– Ton livre, c'est un film. C'est fort et puissant. Il faut qu'il existe.

Je suis scotchée d'entendre ces mots, d'autant plus prononcés avec une terrible intensité. Je ne peux m'empêcher de rire de joie :

– Merci ! Ça me fait tellement plaisir ... et surtout, ça me rassure !

Nous poursuivons la discussion, il me raconte son parcours, surprenant. Boxeur passionné de cinéma, il s'imprègne de films le jour, et travaille à Rungis la nuit, jusqu'au jour où il est admis au cours Florent. De comédien il devient acteur, puis réalisateur.

Il me parle ensuite du dernier film de Claude Lelouch, qu'il a vu récemment, Un+Une :

– Ce film est intéressant. Derrière l'histoire, Lelouch est parvenu à mettre habilement en lumière le véritable personnage central du film : Amma.

– Amma ?

– Oui. Cette femme, c'est un soleil. 

« Cette femme, c’est un soleil.  »

À ce moment-là, Steve sort de son sac des livres d'Amma et m'en tend un :

– Tiens, je viens d'en acheter plusieurs pour les offrir à l'occasion de Noël. Tu n'as qu'à en prendre un.

Je regarde la couverture du livre : "Tout est en vous. Paroles d'Amma." Le titre sonne comme un écho à une conférence que j'ai donnée quelques semaines auparavant, sur mon voyage initiatique au Kamchatka et en Alaska, où j'indiquais en conclusion :

J'ai finalement compris que les réponses à toutes les questions que je me posais, elles ne se situaient pas à l'extérieur de moi, mais elles étaient là, en moi-même. TOUT était en moi.

Nul hasard. Dès cet instant, j'ai su qu'un jour, je rencontrerai Amma.

 

En route vers Amma ... à vélo !

Depuis cette rencontre avec Steve, les mois ont passé, et Amma s'est glissée dans un recoin de ma mémoire. Je n'y pensais plus jusqu'à un message reçu de Jimmy sur Facebook :

 
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Amma en France ? Elle réalise en effet chaque année une tournée mondiale pour délivrer son étreinte - qu'on appelle le darshan - et ses enseignements. Jimmy me propose de le rejoindre début novembre à Toulon mais je ne peux pas me libérer aux dates prévues. Tout aurait pu s'arrêter là, mais en regardant le programme de la venue d'Amma en France, je découvre qu'elle sera également à Châlons-en-Champagne du 24 au 26 novembre.

La date approche, le travail s'accumule, mon calendrier s'alourdit, et j'hésite encore. Est-ce que j'aurais le temps d'y aller ? Est-ce que ça en vaut vraiment la peine ? En échangeant avec d'autres personnes sur Amma, les avis divergent : "Je connais une nana qui y est allé, elle n'a pas trouvé ça terrible ..." "À ce qu'il paraît, c'est une arnaque." "Tu imagines ?! Elle prend tout le monde dans ses bras !!! Elle ne doit pas être très propre ..."

Mais voilà, je ne cesse d'y penser et je me sens appelée à vivre cette expérience, en dépit de tout ce qu'on peut m'en dire.

Et puis, fin octobre, je reçois une proposition de conférence à Reims, qui me séduit particulièrement. L'association Enactus organise un séminaire à destination d'étudiants qui se lancent dans l'entrepreneuriat social et solidaire. Le thème est : l'audace de changer le monde, et la soirée d'ouverture a lieu le jeudi 23 novembre, soit la veille de la venue d'Amma.

Je vois là un signe, une synchronicité. Reims se situe juste à côté de Châlons-en-Champagne et je pourrais donc enchaîner la conférence d'Enactus, puis Amma. D'abord inspirer pour mieux m'inspirer à mon tour.

C'est tout simplement parfait. Je me décide à y aller ... à vélo. Je commence alors à en parler autour de moi.

"Tu rigoles ?!!! Tu ne vas pas aller à vélo jusque Châlons en Champagne de ce temps-là ?!!!" Le nombre de fois où j'ai eu ce genre de réactions depuis 7 ans est incalculable. Autant que le nombre de fois où je n'ai pas écouté ces conseils de prudence pour me fier à mon intuition.

Je souhaite y aller à vélo pour me ressourcer, pour alléger mon esprit, encombré de nouveaux projets, et pour arriver la plus libre possible. Et quel vélo ! Puisque n'ayant plus de vélo - le mien ayant été volé à Toulouse pendant mon tour de France en courant - je compte utiliser le VTT que Jimmy (oui, LE Jimmy qui m' a informé de la venue d'Amma) m'a prêté pendant ce même tour de France.

« Je souhaite y aller à vélo pour me ressourcer, pour alléger mon esprit, encombré de nouveaux projets, et pour arriver la plus libre possible. »

Départ le long du Canal de l'Ourcq ... de bon matin !

Me voilà donc partie mercredi matin le long du canal de l'Ourcq, l'âme légère, sous un magnifique soleil d'automne. On me dit que j'ai de la chance de ne pas avoir de pluie. Je ne crois pas en la chance. Je remonte lentement vers Meaux et reçois le souffle du vent contre ma peau comme une bénédiction.

Des images d'Alaska me reviennent, lorsque j'y avais improvisé une traversée à vélo. C'était il y a 6 ans, fin octobre. Sur ce bout du monde, à cette époque, l'hiver a déjà repoussé l'automne. La glace s'est déjà emparée des lacs et la neige des montagnes. Mes doigts et mes orteils se souviennent parfaitement de la brûlure du froid, qui les figeaient autour du guidon et à l'intérieur de mes chaussures, malgré les gants et la double couche de chaussettes.

Ici, l'air est frais, son contact est doux, et les chemins sont parsemés de feuilles jaunes et ocre, jusqu'à en être recouverts totalement. Si l'échange du "Bonjour" est inexistant en ville, il revient presque instantanément lorsque les arbres se font plus nombreux que les constructions. La nature incite à la bienveillance. La ville à l'indifférence.

À partir de Sevran, je croise plusieurs coureurs et cyclistes, plongés dans l'effort. Un cycliste décide de rouler à mes côtés et m'interpelle :

– Ça va ?

– Ça va. J'avance à mon rythme.

– Non mais votre rythme est correct !

Après quelques instants, il ajoute :

Les magnifiques nuances de l'automne

– Vous n'avez pas les bonnes chaussures ! C'est important pour la position. Et pas de gants non plus !

Je jette un coup d'oeil à son équipement, digne d'un coureur professionnel, et souris intérieurement de l'image que je dois renvoyer, avec mes baskets, mon sac à dos harnaché à l'arrière du VTT, et mon regard davantage contemplatif que sportif.

– Ah oui ? Disons que j'ai improvisé cette sortie ! Mais ne vous inquiétez pas, ça va le faire !

– Et vous allez jusqu'où comme ça ?

– Reims ! Pour une conférence !

– Reims ? Avec ce vélo ? C'est pas possible !

– Si, si, je vous assure. En 2 jours. J'y serai demain.

– Ah ben vous êtes pas rendue ! Vous êtes un peu barje, non ?! Allez, bon courage !

Il file devant moi, et me laisse à mon propre sort de "barje". Je me demande ce qu'il aurait pensé ou dit s'il avait su que le véritable but de cette aventure était de voir une femme qui prend dans ses bras des millions de personnes à travers le monde.

La traversée et la sortie de Meaux me ramènent à la réalité urbaine. Pendant 15 kilomètres, je suis centrée sur les indications de mon GPS pour atteindre au plus vite Saint-Jean-les-Deux-Jumeaux, d'où je rejoindrais les bords de Marne.

Le traditionnel Jambon - Emmental - Crudités dévoré à la Ferté-sous-Jouarre !

Je me retrouve sur la D603, au bord d'une double voie où les voitures et les camions me doublent nerveusement, tout en s'éloignant suffisamment de moi. Une longue côte me conduit jusque Montceaux-lès-Meaux, et me renvoie à la lourdeur du VTT. Je souffle longuement pour évacuer l'acide lactique qui s'accumule dans les profondeurs de mes cuisses et me remémore les interminables cols que j'ai franchis au Tibet oriental : "Comment j'ai pu faire ça pendant 3 mois ?!!!" Ce n'est qu'après coup qu'on s'étonne de notre capacité à affronter les difficultés et les épreuves. Sur l'instant, on serre les dents et on fait face.

Il est près de 15 heures lorsque j'arrive à la Ferté-sous-Jouarre, où je m'arrête dans une boulangerie pour acheter le traditionnel Jambon - Emmental - Crudités, et m'accorde une courte pause pour apaiser la faim qui me tiraille depuis un moment. Lorsque je repars, le soleil se glisse déjà derrière les collines, et les villages que je traverse s'enfoncent rapidement dans la pénombre du crépuscule. C'est de nuit que je parviens à Château-Thierry.

 

Encore 20 km avant d'arriver à Château Thierry et le soleil se glisse déjà derrière les collines

 

Allongée sur le lit de la chambre d'hôtes où je passe la nuit, je suis heureuse de m'être lancée dans cette escapade, aussi courte soit-elle, pour renouer avec le mouvement, le plein-air. Mon esprit est léger, aérien. Est-ce l'expérience de mes années de voyage passées, ou de ma pratique assidue de la méditation, mais je m'étonne agréablement d'atteindre un tel état en seulement ... une centaine de kilomètres.

 

L'audace de changer le monde

Le lendemain, je reprends la route sous une petite pluie qui ne durera pas. Les kilomètres défilent rapidement. Je quitte les bords de Marne et m'aventure plus au nord, dans le Tardenois, sur de petites routes de campagne très peu fréquentées. Les champs se succèdent, légèrement vallonnés, parfois entrecoupés de villages déserts. Quelques fois, les nuages lourds et gris se déchirent pour laisser place à un rayon de soleil.

 

En chemin, une petite philosophie du voyage à vélo

 

Je profite de ces instants en mouvement, du murmure du silence, même s'il se fait moins dense sur ces terres que dans les immensités himalayennes ou du Grand Nord. L'expérience de la lenteur est une véritable drogue dans notre monde, en proie à la vitesse. Ainsi l'est celle de la fluidité, dans des systèmes où nous sommes sans cesse interrompus : par le téléphone, un message, un mail, un feu rouge ...

« L’expérience de la lenteur est une véritable drogue dans notre monde, en proie à la vitesse. Ainsi l’est celle de la fluidité, dans des systèmes où nous sommes sans cesse interrompus. »

Des idées me viennent, sans même que je fasse l'effort d'y penser. Comment s'entraîner à affronter l'inconnu ? En travaillant la confiance que nous avons en nous-mêmes et en la vie. Comment renforcer cette confiance ? En dépassant nos peurs et en agissant, jour après jour, avec consistance et persévérance.

Les silhouettes des vignes dénudées à l'approche de Reims

Plus je m'approche de Reims, plus les vignes se font nombreuses. Dénudées, elles sont entrées en phase de repos, dite de dormance. Quelques maisons de champagne pointent leur nez sur mon chemin, et j'imagine les milliards de bulles qui attendent patiemment au fond des caves le jour festif où une main heureuse les libérera.

J'arrive à Reims en milieu d'après-midi, quelques minutes - par chance (?!!) - avant une grosse pluie, pose mes affaires à l'hôtel et me douche pour me préparer à la conférence Enactus de ce soir. Je profite des trois heures que j'ai devant moi pour cibler le message que je souhaite délivrer à ces jeunes étudiants qui ont décidé de se lancer dans l'entrepreneuriat social et solidaire. Voie ambitieuse que celle de l'entrepreneuriat, et vertueuse que celle du social et solidaire, me dis-je.

L'événement a lieu dans les locaux de NEOMA Business School. Je fais la connaissance des trois autres intervenantes, toutes aussi passionnantes les unes que les autres : Fabienne, chargée de communication à l'ONU pour les ODD (objectifs de développement durable), Alexia, qui dirige un lieu hors du commun : la Chartreuse de Neuville, et Lou, jeune alumni d'Enactus, qui a fondé le Baba, lieu convivial à Paris, où immigrés et réfugiés font découvrir la cuisine de leurs pays. Les femmes ont donc été mises à l'honneur pour parler d'audace !

Environ 200 étudiants sont réunis face à nous, et nous évoquons chacune nos parcours respectifs, puis abordons les questions relatives à l'audace, les qualités que cela requiert, le pourquoi se lancer dans un projet qu'on sait difficile. À travers ces échanges, je suis fascinée de constater l'énergie et la volonté de cette nouvelle génération, naturellement tournée vers le sens : le sens de la vie, le sens de leur vie. Je me remémore l'époque où, à leur âge, je pensais également changer le monde ... depuis l'armée. Ah, le temps des illusions ! Il m'a fallu d'abord changer mon monde - ce qui m'a pris plusieurs années - avant de revenir à ces mêmes réflexions : quelle sera ma façon de contribuer à un avenir meilleur ? Car je suis aujourd'hui persuadée que nous constituons, chacun, les pierres d'un édifice qu'il nous appartient de bâtir. À nous de façonner cette pierre à mesure de nos expériences, selon ce qui repose au plus profond de nous, selon ce que nous sommes.

Face aux étudiants membres du réseau Enactus

Je ressors de cette conférence avec une envie encore plus forte d'inspirer les autres, d'accompagner ces jeunes qui se lancent, spontanément, de leur transmettre cette foi qui m'anime et me permet de traverser les épreuves. Comme je l'ai écrit suite à une autre rencontre : l'énergie donne de l'énergie, et c'est précisément pour cette raison qu'il est ESSENTIEL de se rencontrer, et de partager.

 

Le câlin d'Amma

Le jour J arrive. Mon amie Hélène m'a rejoint hier soir. À chaque fois que nous nous retrouvons, les heures défilent autour des histoires et des anecdotes que nous nous racontons. En bref, on papote ! Notre amitié est née il y a 25 ans et pendant toutes ces années, nous ne nous sommes jamais quittées. Ce qui est étonnant - et beau - c'est que malgré des parcours de vie complètement différents, malgré l'éloignement géographique, nous nous sommes toujours retrouvées autour d'un socle commun de valeurs et je dirai même, de façon plus surprenante encore, nous avons chacune, de notre côté, évolué vers le même socle de valeurs.

C'est à l'occasion d'une soirée entre filles, avec une autre amie d'enfance, Claire, qu'Hélène a été intriguée par ce que je racontais d'Amma et s'est décidée à m'accompagner dans l'aventure.

7h du matin, Hélène et moi arrivons au capitole de Châlons en Champagne

À 6h15 du matin, j'embarque mon vélo dans le coffre de sa voiture et nous voilà parties sous la pluie direction Châlons-en-Champagne. Nous arrivons au Capitole vers 7h et nous insérons dans la longue file de voitures qui patiente pour accéder au parking.

Cette attente se prolonge lorsque nous nous dirigeons à pied vers l'entrée du Capitole, puis à l'intérieur, pour déposer nos manteaux et nos sacs et enfin, pour obtenir le fameux ticket. Ce ticket, c'est LE passeport pour le câlin. Numéroté de A à Z, il permet aux organisateurs de s'assurer que nous avons bien fait la queue "1ère fois dans l'année" ou "1ère fois de la Vie", et nous apporte en outre une indication sur l'horaire de notre passage :

L'attente ... avec le sourire !

– Amma arrive vers 11h. Elle commencera le darshan pour les personnes qui ont la lettre A puis ainsi de suite. Il faut compter de 15 à 20 minutes par lettre, nous explique un bénévole. Ne perdez surtout pas votre ticket.

Environ 2 heures plus tard, nous parvenons dans le hall principal, tickets précieusement rangés dans nos poches : un T pour Hélène, un S pour moi. Entre temps, un autre ami, Guillaume, nous a rejointes. Il a également hérité d'un T. Nous voilà donc trois à découvrir l'espace où tout est mis en place. Face à une large estrade où des personnes finissent d'installer le fauteuil d'Amma, des centaines de chaises se remplissent peu à peu de ceux qui, comme nous, ont souhaité la rencontrer. Nous dépassons rapidement des stands où sont vendus des objets indiens de toute sorte : livres, vêtements, foulards, bijoux, cristaux, encens ... et nous nous asseyons au niveau de la première rangée disponible.

Nos tickets pour le darshan

De nouveau, nous attendons. Je m'étonne de ne ressentir aucune impatience. Certes nous discutons, Hélène, Guillaume et moi, nous lisons les brochures qui nous ont été distribuées, sur le programme et les activités proposées, nous échangeons nos premières impressions, mais au-delà de ça, il règne dans la salle une forme de bienveillance collective, où la douceur et la lenteur s'imposent d'elles-mêmes. Nous sommes tous réunis pour vivre une expérience, qui différera selon notre histoire, notre personnalité, notre état d'esprit du moment, et d'une certaine façon, en nous rendant jusqu'ici, nous nous sommes déjà rendus disponibles, intérieurement.

Il est 11 heures lorsqu'une voix rassurante annonce l'arrivée d'Amma :

– Amma va bientôt arriver. Nous vous demandons de ne pas vous lever et de rester assis, ainsi que de ne pas prendre de photo ni de vidéo.

J'éteins mon téléphone et me dis que c'est bien mieux comme cela. Une telle expérience se vit pleinement ancrés dans l'instant présent. 

Rivés à nos chaises, nous distinguons un groupe de personnes qui s'avance en escortant une petite dame indienne, aux gestes posés, tout de blanc vêtue, le sourire radieux : Amma. Est-ce en raison des longues heures d'attente - et d'anticipation - qui ont précédé ce moment, mais je suis soudainement submergée par l'émotion, au point d'en avoir les larmes aux yeux. Nous sommes des milliers à observer la scène, en silence, comme hypnotisés par une telle présence.

Amma monte sur l'estrade et prend place sur le large fauteuil qui lui est dédié. Des jeunes enfants s'assoient en tailleur, à ses pieds, et la voix nous indique la suite du programme.

– Maintenant, nous allons méditer.

C'est la première fois que je médite dans ces conditions, en compagnie d'autant de personnes. Je ferme les yeux et me laisse guider par la voix. Nous nous concentrons sur nos respirations puis, nous sommes invités à prononcer à plusieurs reprises le Om (son sacré qu'on retrouve dans les mantras hindouistes et bouddhistes) tous ensemble. Ce qui se passe est fascinant. Puissant. Ce n'est pas un simple son qui s'extrait de nos bouches. C'est une véritable énergie qui émerge de nos coeurs. Une vibration qui nous unit, et qui nous rapporte à un tout. J'ai la sensation que l'ensemble des cellules de mon corps résonne au rythme de ce Om.

« Ce n’est pas un simple son qui s’extrait de nos bouches. C’est une véritable énergie qui émerge de nos coeurs. Une vibration qui nous unit, et qui nous rapporte à un tout. J’ai la sensation que l’ensemble des cellules de mon corps résonne au rythme de ce Om. »

À l'issue de la méditation, je suis sereine ... et joyeuse. En échangeant avec nos voisines, les témoignages sur l'effet de la méditation concorderont :

– Quand je suis arrivée, j'étais un peu dans une explosion d'émotions. Maintenant, je me sens beaucoup plus calme. 

Le darshan d'Amma ©Embracing The World

Le darshan d'Amma ©Embracing The World

C'est alors que le darshan débute. La lettre A est annoncée. Après avoir retiré leurs chaussures, les personnes se présentent de part et d'autre de l'estrade, et se retrouvent l'une après l'autre dans les bras d'Amma, pendant une dizaine de secondes. Quelquefois, des Mamans ou des Papas arrivent avec leurs bébés dans les bras, qu'Amma porte tendrement contre elle. D'autres fois, ce sont des couples qui ont souhaité passer ensemble, et qui se retrouvent à deux contre Amma. Lorsque les personnes se relèvent, on devine l'émotion sur leurs visages, parfois en pleurs.

Pour accompagner l'expérience, face à l'estrade, des musiciens chantent et jouent des bhajans (des chants de mantras tirés des textes sacrés indiens) ou alors, des mantras indiens sont récités, sur le thème de la gratitude, de l'amour. 

Pour vous mettre dans l'ambiance, écoutez l'un des bhajan qui était joué ce jour-là en cliquant ci-dessus

Hélène et moi, autour de notre repas indien ET végétarien !

Afin de patienter jusqu'à nos lettres S et T, Guillaume, Hélène et moi décidons d'aller manger, dans l'espace restauration dédié. Les odeurs de curry et d'épices nous envahissent agréablement. Différentes cuisines sont disposées à travers la salle, depuis le snack indien (notre choix !), avec samoussas, pakoras d'aubergines ou de courgettes, besan ladoo ... jusqu'aux galettes bio, en passant par les quiches, le tout étant 100% végétarien. Des dizaines de bénévoles s'affairent derrière les stands. Ils nous servent avec sourire, puis récupèrent nos plateaux et débarrassent les tables avec le même sourire. Tout le monde parle avec douceur, sans forcer la voix, et malgré les larges dimensions de la salle et le nombre important de personnes réunies, il n'émane aucun brouhaha qui pourrait être assourdissant.

Après avoir également fait un tour du côté des livres et des objets indiens, nous revenons à nos places vers 15 heures, et constatons que nous sommes "déjà" passés à la lettre O.

P. Q. R. S. Mon tour. Je me lève, dépose mes chaussures dans les casiers prévus à cet effet et rejoint le groupe qui a la même lettre que moi. L'organisation est micrométrée. Tout est pensé pour éviter que nous soyons debout trop longtemps, et pour optimiser le temps de passage. Une série de chaises est disposée en file indienne jusque l'estrade, puis sur l'estrade jusque Amma. Au fur et à mesure qu'elles se libèrent, nous avançons ainsi, de chaise en chaise. C'est la seule fois où des bénévoles proposeront explicitement de faire une offrande à Amma, en échange de dons, libres. Au départ, mon regard se porte sur une rose rouge, symbole de l'amour. Puis, à la dernière minute, je la repose pour choisir une rose blanche, en guise de paix.

Sur l'estrade, je vois de près ces visages que j'observais de loin. L'émotion est belle. L'énergie est belle. L'union est belle. Derrière Amma, une vingtaine de personnes sont assises en tailleur, femmes et hommes, jeunes ou moins jeunes. Certains méditent, d'autres chantent, d'autres encore observent simplement l'instant. Une chaise se libère devant moi. J'avance. Une autre chaise. J'avance. Une autre.

Je suis la prochaine.

Amma est là, devant moi, à moins d'un mètre. Mon coeur s'accélère. Un parfum joyeux et fleuri s'élève et se mêle à la chaleur des corps, puis m'entoure délicatement. Un Indien me prend par l'épaule :

– Mettez-vous à genoux ici, doucement.

Je suis à genoux, face à Amma, face à ses yeux noirs et pétillants, face à un soleil. J'approche et j'ai à peine le temps de lui offrir ma rose blanche et de lui murmurer "Amma", qu'elle me serre fort contre elle. Sa bouche contre mon oreille, elle récite comme un mantra :

- Ma chéri. Ma chéri. Ma chéri. Ma chéri. Ma chéri.

Je me sens comme dans un nuage. Doux, moelleux, chaleureux, réconfortant. Je suis bien. Infiniment bien. Et j'ai envie de rester éternellement.

Lorsque je me lève, je suis complètement désorientée et je ne sais plus où aller. Je marche lentement pour descendre de l'estrade lorsqu'une femme m'invite à rester plus longtemps, autour d'Amma. Je m'assieds.

Mon esprit est libre de toute pensée. Mon coeur, quant à lui, est plein d'une incroyable sérénité. Je suis profondément apaisée.

Après une quinzaine de minutes, Hélène et Guillaume, qui viennent de recevoir le darshan, me rejoignent. Nous restons là, en silence, à contempler le défilé de femmes, d'hommes et parfois d'enfants qui s'approchent d'Amma, avant de tomber un à un dans ses bras. Mon regard se pose sur chacun d'entre eux, sur le visage, les cheveux, et les mains d'Amma qui les prend contre son épaule, contre son sari blanc, et je réalise soudain que je ne distingue non plus des dizaines d'entités, séparées par ce qu'elles incarnent, physiquement, mais un seul et unique tout, rassemblé au sein d'une même énergie : l'amour.

 

Après Amma, le partage

À la fin de cette journée, j'hésite à rester jusqu'au lendemain. Je me fie alors aux signes, qui m'indiquent qu'il ne faut pas : j'ignorais que nous pouvions dormir sur place et je n'ai pas pris de sac de couchage, tous les hébergements proposés sont complets et une femme que je devais voir sur place s'est trouvée très occupée par l'événement, et par deux fois, nous nous sommes loupées.

Et puis, au fond de moi, le désir de me retrouver seule me pousse à me retirer.

Je décide donc de rentrer en train. Hélène me dépose à la gare. J'accroche mon vélo dans le TER direction Paris, m'assied et m'endort presque instantanément.

Le week-end se passe et je ne cesse de repenser à cette expérience, cette "mini-aventure" comme je l'ai nommée, courte mais intense, remplie de sens. Je pense au plaisir de l'effort, du mouvement du corps et de l'esprit, du ressourcement en plein air, au contact des éléments. Je pense à l'enthousiasme des jeunes, ces nouvelles générations, en quête d'un avenir meilleur, en quête d'un "Je sais pourquoi je me lève ce matin". Je pense à Amma, et à ces milliers de personnes qui, comme moi, se sont senties appelées à la rencontrer.

Alors que j'écris, les bhajans résonnent encore dans mon esprit et cette odeur fleurie, cette chaleur et cette douceur, cette sérénité qui m'ont saisie lors du darshan, planent autour de moi. L'étreinte n'a duré que quelques secondes et pourtant, en semant quelque chose de profond en moi, elle a su se rendre éternelle.

« Alors que j’écris, les bhajans résonnent encore dans mon esprit et cette odeur fleurie, cette chaleur et cette douceur, cette sérénité qui m’ont saisie lors du darshan, planent autour de moi. L’étreinte n’a duré que quelques secondes et pourtant, en semant quelque chose de profond en moi, elle a su se rendre éternelle. »

Nul doute que chacun vit cette expérience différemment. J'imagine que certaines personnes ne ressentent rien. Ou d'autres sont peut-être déçues. Ou d'autres encore voient en cet événement une forme de business du câlin. Libre à chacun de se forger son avis, son opinion.

Ce qui est vécu lors du darshan ne ressemble en rien à une soudaine illumination - du moins, ce ne fut pas le cas en ce qui me concerne - mais comme je l'ai évoqué, à un instant de douceur, de chaleur, de partage et d'amour. 

Et c'est précisément cela qui est beau. Cet instant. Ce simple instant. Vécu en pleine conscience. Cet instant pourrait paraître banal. En réalité, il est rare. TROP rare.

Ce matin, de retour dans mon quotidien, une phrase s'est inscrite dans mon esprit, comme un écho à ces derniers jours :

Où se trouve l'Amour ? Dans la conscience de l’instant. Et nous, où nous trouvons-nous maintenant ?

Telle est la quête de notre vie.